Dans Carol et la fin du monde, comédie dramatique de Netflix, une planète dangereuse fonce droit vers la Terre. L’humanité fait face à une mort imminente inévitable. La plupart des gens s’affairent à vivre leurs rêves les plus fous pour tenter de vivre pleinement leurs derniers jours. Mais pas Carol.

Malgré la frénésie qui l’entoure, elle veut simplement continuer à vivre sa vie normalement. En fin de compte, elle parvient finalement à nouer des liens avec des personnes qui lui ressemblent et qu’elle comprend et qui la comprennent. Elle commence à vivre pour la première fois selon ses propres règles, docile et réservée. Film d’animation de Bardel Entertainment, Carol et la fin du monde est une série animée vraiment inhabituelle, dans le bon sens du terme.

Nous avons eu la chance de nous entretenir avec Johnny Tesoro (directeur de l’animation 2D) de Bardel Entertainment sur l’animation subtile de Carol et la fin du monde, ses héroïnes improbables et la création d’une histoire apocalyptique en temps de pandémie mondiale.

 

Bande-annonce officielle de Carol et la fin du monde, diffusée actuellement sur Netflix.

Quel a été le rôle de Bardel dans Carol et la fin du monde?

Johnny : Les clients ont parfois des demandes variées. Parfois ils nous fournissent un script, et on s’occupe de tout le reste.

[Netflix] avait son directeur artistique. Elle avait aussi son équipe de scénarimage, donc on s’est occupé de toutes les étapes qui suivent la préproduction : les images de fonds, les créations, les personnages, l’animation, les effets, la composition d’images et le montage. C’est très similaire au travail qu’on a fait pour les films d’animation Rick et Morty et Solar Opposites.

Pour l’animation des personnages, c’est assez évident. On s’est occupé des poses et de l’animation des effets. Le client cherchait parfois un effet très spécifique pour lequel il nous a fourni un plan. Mais bien souvent, l’équipe responsable des effets devait faire des recherches et créer les effets.

Notre tour de magie, c’est de ne pas révéler au public qu’on crée une animation en papier découpé, qui requiert de nombreux dessins à la main. Tous les personnages ne sont pas redessinés. On pense vraiment à redessiner certains éléments comme les mains, les traits du visage ou les torses pour donner un aspect réel en trois dimensions, ce qui est plus courant dans un film d’animation 3D ou en prises de vues réelles.

Il y a tellement de détails dans le langage corporel et les expressions faciales des personnages que le public pourrait douter qu’il s’agit d’une animation en papier découpé.

Johnny : Je suis ravi de vous entendre dire ça, parce que, si à un moment vous vous êtes demandé si l’animation était vraiment en papier découpé, c’est qu’on a bien fait notre travail.

Je dois aussi reconnaître que l’outil Harmony de Toon Boom offre des possibilités incroyables en matière d’animation de personnages. Souvent, quand on cherche à reproduire les détails dans la représentation, notamment lors de l’interprétation, l’utilisation de déformateurs et l’adaptation qu’offre Harmony nous permettent d’obtenir une représentation de haute qualité qu’on ne pourrait pas obtenir avec les autres logiciels.

Et les déformateurs ne font que s’améliorer. Il y a peu, on a vu une présentation d’Harmony 24 et les possibilités incroyables qu’offrent les nouveaux déformateurs! On était toujours satisfait des fonctions de l’outil Harmony 20, et de la version 21 dans notre cas. Je crois qu’Harmony permet aux réalisateurs et aux studios comme nous de créer des histoires qui, normalement, ne pourraient pas l’être avec les autres logiciels.

Carol est le personnage principal de Carol et la fin du monde. Image promotionnelle fournie par Bardel Entertainment.
Qu’est-ce que vous avez ressenti en créant un film d’animation étroitement liée à la fin du monde? D’une certaine façon, on a l’impression d’y avoir tous survécu.

Johnny : C’était agréable d’essayer de créer un film à l’ambiance et au ton différents de ce qu’on a l’habitude de voir dans les films d’animation.

Je ne crois pas qu’il y ait un lien entre la pandémie et l’histoire du film. On était préoccupés par la façon de raconter l’histoire. On a travaillé sur ce projet pendant la pandémie, dans une période de forte incertitude. Travailler nous permettait de nous évader, ce qui nous plaisait. Je crois qu’on était vraiment occupé à créer quelque chose de beau et de très artistique.

Malgré la situation chaotique dans laquelle elle se trouve, Carol est plus préoccupée à trouver sa place. Elle rencontre un groupe de personnes qui réagissent à la mort imminente de la même façon qu’elle, en se distrayant et en pensant à autre chose.

Je crois que le parallèle avec la pandémie est assez limité, parce que dans le monde réel, on a tous eu de l’espoir. On a tous eu l’espoir qu’un vaccin allait être trouvé. On a tous eu l’espoir que ça n’allait pas durer. L’histoire de Carol porte plus sur la façon dont nous réagirions s’il n’y avait plus d’espoir. Pendant la pandémie, notre secteur s’est affairé à créer du divertissement. On espère avoir fourni la légèreté tant attendue en cette période.

Carol elle-même est un choix très original pour une héroïne, notamment pour une histoire de fin du monde. C’était comment de créer une série sur une femme docile d’âge mûr?

Johnny : Eh bien, c’était très original de la part du réalisateur de choisir une femme comme personnage central de cette histoire. Une femme d’âge mûr. Une femme qui manque de vitalité.

Tout particulièrement au début de son histoire, elle souffre de dépression. Du point de vue de l’animation, elle est très silencieuse et discrète, ce qui est l’antithèse des mouvements des dessins animés qu’ont l’habitude de créer les animateurs-graphistes. Il fallait donc trouver une façon de la rendre intéressante, tout en conservant son stoïcisme.

Son caractère a évolué au fil de la série, Carol est devenue plus animée (sans vouloir faire de jeu de mots). On a pris énormément de plaisir à changer son comportement du premier épisode au dernier; c’était incroyable. On était nombreux à aimer la voir sur sa moto et surfer dans différentes régions du monde. Ç’a été une façon fascinante et très gratifiante d’aborder l’animation.

Lors de l’animation des personnages, par exemple, on est toujours à l’affût des syllabes accentuées dans le dialogue, parce qu’elles modifient le volume et le ton de la voix. Carol, elle, a un ton monotone. On en a parlé énormément pendant les réunions. Comment on fait pour qu’elle soit toujours intéressante?

C’est le personnage principal. Est-ce que les spectateurs vont s’attacher à elle? Ou, au contraire, est-ce qu’ils vont se blaser parce qu’elle est si morne? Notre solution a été de la juxtaposer aux personnages les plus animés, comme Louis, qui est une boule d’énergie. On s’est bien amusés.

J’adore la nourriture, je vais donc faire une analogie culinaire. C’est comme une tarte. On y ajoute une pincée de sel pour renforcer le goût sucré. Ce qui a rendu les séquences et les scènes encore plus fascinantes, c’est de la voir interagir par exemple avec ses parents (nudistes!) dans le premier épisode.

Ça m’a rappelé la série Daria diffusée sur MTV. C’est l’une des rares séries où le personnage-titre est le faire-valoir. Ce qui rend la série drôle, c’est le fait que Daria soit impassible quand tout le monde est ridicule. Dans Carol et la fin du monde, on en apprend beaucoup sur Carol; pas nécessairement sur ce qu’elle ressent mais sur sa façon de réagir.

Johnny : Vous avez tout à fait raison. Pour moi, même si une personne est extrêmement sociable et extravertie, elle aura toujours des traits de personnalité opposés. Je pense que de nombreux spectateurs peuvent s’identifier à elle. Il y aura toujours quelqu’un qui se sentira un peu tiraillé par ce qui se passe autour de lui. On a tous des moments comme ça.

Pour en revenir à Harmony, les autres logiciels d’animation ne permettent pas de créer des mouvements subtils, très lents et d’une telle finesse. Parfois, quand on fait bouger un personnage très très lentement, il n’est plus visible parce que, pour une raison ou une autre, le logiciel n’arrive pas à reproduire ces mouvements infimes. Les excellentes fonctionnalités d’Harmony nous ont permis de créer un personnage introverti, méthodique et d’une extrême lenteur, tout en obtenant de magnifiques pauses dans la narration et la représentation.

On a fait un test d’animation que j’adore, qui n’apparaît pas dans la série. Carol est dans son lit. Elle marche jusqu’à sa commode-coiffeuse et se regarde dans le miroir. C’est la plus longue pause. Tout est dans son regard.

On voulait voir les subtilités qu’on pouvait obtenir en créant une animation avec Harmony, la façon dont Carol pouvait raconter une histoire tout en restant silencieuse, sans avoir à utiliser de subterfuges. Je pense qu’on a pas mal réussi notre coup. Ensuite, elle se retire pour marcher jusqu’à sa tête de lit où elle s’affale, pour montrer la juxtaposition entre un mouvement infime et un grand mouvement.

Hayao Miyazaki parle de l’importance du « ma » dans le cinéma d’animation, les pauses entre deux moments. Je me suis dit que Carol le faisait vraiment ressortir. On comprend que les personnages réfléchissent. Ce genre de détail, ce genre de silence n’est pas la norme dans le cinéma d’animation.

Johnny : Tout à fait d’accord. Je continue à penser à son caractère et au tout premier épisode pilote. [Le réalisateur] Dan [Guterman] fait ressortir la solitude d’une façon absolument incroyable. Je crois qu’il l’a surtout fait en ajoutant des pauses. Il y a une scène où elle prépare son petit-déjeuner. On y voit des fondus enchaînés super longs,

qui montrent la solitude d’une personne visant seule quand le monde entier cherche à établir des liens avec d’autres personnes. Elle veut simplement qu’on la laisse tranquille en raison de ses problèmes de santé mentale. C’est difficile de raconter cette histoire. C’est le genre de message extrêmement difficile à faire passer aux spectateurs. Je pense que Dan a vraiment réussi à faire passer ce message, simplement en trouvant l’endroit idéal où placer la caméra, pour obtenir ce fameux espace négatif.

Pour moi, ça relève du génie. Je trouve ça incroyable. Je pense que le film le transmet bien. Ce n’est pas courant, surtout en animation 2D. C’est comme si on faisait clignoter des lumières vives devant les gens pour essayer de les distraire.

C’est intéressant de donner le rythme et le ton dès le début. Ça va être un peu plus ésotérique. On veut vraiment que vous vous plongiez complètement dans ce bain chaud qu’est l’univers de Carol.

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